SONIA RECASENS EMPRUNTE LA FIGURE DE MARIE MADELEINE POUR EXPOSER LES TABOUS LIES AU FEMININ

DSC_4757.JPGEn résonnance à l’exposition Marie Madeleine, la Passion révélée (29 octobre 2016 – 5 février 2017) présentée au Monastère Royal de Brou ; Sonia Recasens, originaire de Bourg-en-Bresse, est la commissaire de l’exposition les Sept démons (5 novembre 2016 – 12 février 2017)  au H2M (Hôtel Marron de Meillonnas), espace d’art contemporain de la ville. Propos recueillis par Claire Nini.

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Vous êtes la commissaire de l’exposition les Sept démons à l’espace H2M, en correspondance à l’exposition Marie Madeleine, la Passion révélée au Monastère Royal de Brou,  comment est né ce projet ?

Le projet a commencé à germer il y a un an alors que je travaillais sur l’exposition « L’art est un mensonge » pour l’espace d’art contemporain à H2M. Laëtitia Carneiro-Gauthier, responsable des actions culturelles de  la ville de Bourg-en-Bresse, se posait alors la question de l’intérêt d’une exposition en résonnance à celle de Marie Madeleine au Monastère Royal de Brou. Donc tout en préparant « L’art est un mensonge », je tâchais de montrer ma profonde motivation pour développer une exposition à partir de la figure de Marie Madeleine, qui me semblait particulièrement pertinente. Et ce n’est qu’en mai dernier, que Laëtitia m’a donné carte blanche. Et je tiens, ici, à la remercier, parce que c’est une précieuse collaboratrice, qui m’a fait confiance et m’a donné une liberté totale. Une liberté qui se fait de plus en plus rare en ces temps troubles de crispations identitaires, sociales, politiques. Je lui suis donc très reconnaissante.   

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Pourquoi avez-vous souhaité faire ce lien ?  

Marie Madeleine était l’occasion toute trouvée pour parler plus généralement des femmes : de leur identité sexuelle, de la pureté, de l’impureté du corps, de la sexualité, mais aussi de plaisir et de jouissance. C’est une figure qui condense beaucoup de fantasmes, de contradictions et de paradoxes au fil des siècles. J’ai trouvé intéressant d’avoir cette résonnance avec le Monastère Royal de Brou comme deux visions et deux temporalités différentes.

En quoi la figure de Marie Madeleine est-elle inspirante et contemporaine ?

Marie Madeleine est une figure assez rebelle pour son époque, et la complexité de ce personnage me semblait parfaite pour parler de la complexité de la condition féminine aujourd’hui. Elle n’a ni père, ni mari, ni frère. Elle n’existe pas dans l’ombre d’un homme ou dans une définition d’un rôle social : fille, mère, sœur … Elle est indépendante financièrement. C’est une figure extrêmement contemporaine. Elle affirme une liberté totale, c’est une femme qui dispose aussi bien de son corps et de sa sexualité. Une indépendance mal perçue par les disciples de Jésus, qui voyaient en elle une femme de mauvaise de vie, une tentatrice.

Vous avez choisi pour titre de l’exposition au H2M les Sept démons, c’est un clin d’œil biblique, le Christ aurait chassé les démons du corps de Marie Madeleine afin de la libérer et d’en faire une sainte, pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix ?   

C’est un clin d’œil à l’exposition présentée au Monastère Royal de Brou, puisqu’il n’existe aucune iconographie de cet épisode de l’expulsion des démons. J’ai trouvé cette image des sept démons très puissante et troublante d’autant que les démons en question ne sont pas précisés. Quels étaient ces démons ? Est-ce une référence aux sept péchés capitaux ? Les démons renvoient au statut maléfique de Marie Madeleine et des femmes en général. Le titre permet de s’interroger sur ces démons qui posséderaient les femmes. Les démons sont toujours conceptualisés par les hommes, alors que les femmes parlent davantage de tabous.

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Carolle Bénitah : Autoportrait au rideau rouge 7, 2002
Photographie, tirage numérique contrecollé sur dibond
Courtesy de l’artiste/ Copyright ADAGP

 

Pour l’affiche, vous avez choisi une œuvre photographique de Carolle Bénitah, pourquoi ce choix ?

Une œuvre très belle de Carolle Benitah qui m’a fait la faveur de présenter ces œuvres qui témoignent d’une période douloureuse pour elle. Alors qu’elle est atteinte d’un cancer en 2002, elle saisit son appareil photo pour reprendre le contrôle de son corps, de son image, interroger sa féminité, à travers une série d’autoportraits.  

Les hommes et les femmes réagissent-ils différemment aux œuvres de cette exposition ?

La réaction des femmes est plus forte. Elles sont souvent choquées et troublées par les œuvres qui évoquent le sang des menstrues, ou de la défloration comme les photographies de Héla Ammar ou les dessins de Hanan Ourraht, une artiste du sud du Maroc, qui expose pour la première en France. Les femmes ont intégré ces « démons » comme des tabous. En montrant ces œuvres qui peuvent choquer, je cherche à décomplexer les femmes dans leur rapport aux menstrues, à leur propre corps, à leur sexualité, des sujets extrêmement tabous encore aujourd’hui …

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Damien Rouxel
Reine de beauté (hommage à Hannah Wilke), 2015
Photographie numérique
Courtesy de l’artiste
Copyright Simon Benteux

 

Vous présentez 18 artistes contemporains, parmi lesquels une très belle sélection d’artistes confirmés comme Louise Bourgeois, Orlan, Kiki Smith, Zanele Muholi, comment avez-vous réussi à convaincre ces personnalités de participer à votre projet d’exposition ?

Je suis ravie de l’enthousiasme et de la générosité des artistes vis-à-vis de ce projet curaté par une jeune commissaire comme moi dans un petit centre d’art de région. En effet, les artistes ont été très réactifs, disponibles. Ce fût un véritable plaisir que de collaborer avec chacun d’eux. Nous avons également de merveilleux prêts. Les œuvres d’Orlan nous sont prêtées par l’Institut d’art contemporain de Villeurbane. Dans cet ensemble de 17 photographies réalisées dans le milieu des années 1970, Orlan reprend le diptyque qui lui est cher : la sainte et la putain. La Galerie Lelong, enthousiaste vis-à-vis du projet, nous prête les œuvres de Louise Bourgeois et de Kiki Smith. Enfin, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris nous prête l’incroyable série du photoreporter iranien  Kaveh Golestan. C’est un prêt exceptionnel dont je suis particulièrement heureuse, parce que ces portraits de prostituées du quartier de la Citadelle à Téhéran réalisés dans le milieu des années 1970 sont d’une beauté et d’une puissance rares, mais aussi parce que ce n’est que la deuxième fois qu’elles sont présentées en France. Des artistes ont également été invité à créer des pièces spécialement pour cette exposition : Myriam Mechita et Anaïs Albar, qui ont fait un magnifique travail. C’est la première fois que des œuvres viennent d’aussi loin dans cet espace d’art contemporain de Bourg en Bresse. Je suis très heureuse de cette sélection.  C’est un peu un rêve qui se réalise au bout de dix ans de recherches sur les artistes femmes, l’histoire de l’art féministe.

 La majorité des artistes sont originaires du bassin méditerranéen, d’Afrique du Sud ou d’Iran, ce choix de territoires géographiques est-il conscient ?

C’est certainement une déformation de mes recherches. J’ai toujours beaucoup travaillé sur les artistes de la diaspora africaine et du monde arabe. C’est le fruit et la conséquence de mes recherches et de mes obsessions, mais il y a quand même une diversité de cultures et de territoires. La multiplicité des points de vue et de l’expérience du féminin était importante pour moi.

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Myriam Mihindou
Funny Joke 1/8, 2007
De la série Women’s Building
Photographie numérique tirage argentique contrecollé sur dibond
Courtesy de l’artiste et de la galerie Maïa Muller, Paris
Copyright ADAGP Myriam Mihindou

 

Vous présentez aussi bien des artistes émergents que confirmés, pourquoi est-ce important pour vous de confronter ces regards, ces générations ?

En effet, la doyenne de l’exposition Louise Bourgeois est née en 1911 et le cadet Damien Rouxel en 1993. Comme je suis engagée dans la visibilité des artistes femmes, je défends également la création émergente, à travers notamment l’association Portraits dont je suis la présidente (une association de critiques d’art qui écrivent sur des artistes émergents). Il était important de pouvoir soutenir des artistes tout juste diplômés comme Damien Rouxel ou Leila Gadhi, ou des artistes émergents comme Anaïs Albar, afin de les encourager et de faire connaître leurs création. D’autant que leur travail est d’une grande maturité et cohérence vis-à-vis du projet. Leila Gadhi apporte un regard très juste et décalé sur la Burqa avec sa série de cartes postales ; Damien interroge avec force le féminin et le genre. Et Anaïs affirme la jouissance féminine comme source d’élévation. Et comme souvent dans mes expositions, j’aime confronter les générations, c’était déjà le cas dans Cosmogonies.  

 Même si l’exposition est majoritairement féminine, elle n’exclut pas les artistes hommes, vous en présentez deux : Damien Rouxel et Kaveh Golestan. Observez-vous en tant que commissaire une différence dans l’approche d’un regard féminin ou masculin sur ces questions de féminin et de genre ?

Je n’ai pas une grande connaissance des artistes masculins qui parle des femmes. Pour moi il n’y a pas d’approche différente. Ce qui m’intéresse davantage c’est l’honnêteté et la générosité dans la démarche de l’artiste qu’il soit homme ou femme. C’est ce qui relie tous ces artistes.

 Quelles sont vos actualités ?

Je présenterai en mars 2017 une exposition personnelle de Myriam Mihindou à l’Appartement. Artiste franco-gabonnaise qui crée depuis plus de vingt ans, mais qui n’est reconnue en France que depuis 5 ans environ. En juin, je présenterai une exposition de l’artiste tunisienne Farah Khelil également à l’Appartement. En fait, ces expositions font partie d’un cycle de trois expositions initié avec l’exposition de Caroline Trucco en septembre dernier. Nathalie Miltat, propriétaire de l’Appartement m’a donnée cette carte blanche : la possibilité de donner à trois artistes femmes de trois générations différentes, entretenant un lien particulier avec l’Afrique, le temps et l’espace de monter la richesse et la diversité de leurs univers.

ARTICLE REPUBLIE SUR IAM :

http://www.iam-africa.com/fr/sonia-recasens-emprunte-la-figure-de-marie-madeleine-pour-exposer-les-tabous-lies-au-feminin/

 

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