Présentée sur le stand de Bandjoun Station à l’occasion de la YIA Young International Art Fair du 20 au 23 octobre au Carreau du Temple, Atsoupé est une artiste de 30 ans, diplômée des Beaux Arts de Paris en 2011. Née au Togo, elle a vécu dans 6 sept pays d’Afrique pendant son enfance avant d’arriver à Paris à l’adolescence où elle a eu un accident de voiture. Elle commence à peindre à l’hôpital et pratique depuis la peinture et la sculpture pour se souvenir de son enfance.
Rencontre avec cette artiste qui nous fait découvrir son univers et son installation inédite pour la YIA.
Vue de l’installation Silent Crying, YIA ART FAIR, 2016
Claire Nini : Bonjour Atsoupé, peux tu te présenter et m’exposer ton parcours artistique, et ta formation ?
Je suis née au Togo. Enfant, j’ai vécu dans 6 pays d’Afrique : Burundi, Kenya, Zaïre, Guinée, Côte d’Ivoire sans compter les autres que j’ai juste visité ou traversé. Mes parents ont travaillé dans tous ces pays. On a eu la chance de parcourir tous ces pays d’est en ouest, du nord au sud, on a vraiment vus toutes les facettes et c’était vraiment extraordinaire. C’est ce qui je pense me donne de la substance pour créer. Je peins pour me rappeler tous ces souvenirs. J’ai eu un accident de voiture qui m’a complètement percé la mémoire quand j’avais 17 ans. A partir de l’accident, je me rappelle de la vie d’avant, mais tout le présent proche était déconstruit. Plus je peins, plus je crée, plus me rappelle. Je suis condamnée à créer ! (rires) C’est salvateur pour moi ! Ça me ravive des sensations !
Je suis diplômée de l’ENSBA Paris depuis 2011.
Et si j’étais passée sous le camion, t’aurais dit quoi ? désolé ? , kapok, collants, clous, laine, fleurs plastique
Vivre trop longtemps amène douleurs et tourments, huile sur bois, 2014
CN : Quelles sont tes sources d’inspiration ?
A : La nature, la musique m’inspirent.
La danse aussi beaucoup, j’ai eu une pratique pour comprendre le geste. J’ai plutôt tendance à aller regarder un spectacle de danse plutôt que d’aller voir une exposition de peintures par exemple.
CN : J’aimerais en savoir plus ta pratique, comment travailles-tu dans ton atelier ?
A : J’aime bien me sentir vivante quand je peins. Je ne suis pas du tout dans une posture statique.
Je peins des dimensions, des mondes dans lesquels j’ai besoin de me projeter pour les représenter. J’ai l’impression d’être un chef d’orchestre, il faut que le dynamisme s’opère de façon harmonieuse et que tout s’envole en frénésie poétique, et qu’il émane quelque chose que moi-même je n’avais pas prévu au départ. J’ai une cadence folle, je travaille très vite, trop vite… Je suis trop énergique, je tends à me calmer … J’ai peur de faire une attaque cardiaque. Dernièrement j’ai vraiment eu une décharge électrique, souvent j’en sors en pleurant, je vis des états physiques incroyables grâce à la peinture ! Je trouve ça dingue ! La création c’est vraiment fou !
J’ai un rapport assez brut au travail. J’aime que ça soit simple et efficace. J’ai besoin de sentir la matière, quand j’écrase un pastel contre du papier par exemple … Tout ce qui me traverse en fait devient le travail. Je trouve ça vibrant comme façon de peindre et ça me correspond bien !
C’est régressif ! Plus je vieillis, plus je régresse. Plus les formes se simplifient et plus c’est juste et plus je m’amuse !
Statuette en or et son socle : Faith , statue vénavi du Togo, perles, laine, cuire, tulle de soie, or , bambou, cauris
CN : Comment définis-tu ton approche artistique ?
A : C’est presque religieux. Pour moi c’est quelque chose de très sacré, que j’honore avec beaucoup de respect. Ici sur la foire, j’ai presque l’impression d’être dans un petit temple. Il y a de la prière dans tout ce que je fais.
Mon travail c’est raviver le souvenir.
J’écris des poèmes aussi, je chante. J’aime bien aussi l’idée de la scène.
CN : Quelle utilisation fais-tu des couleurs ? Quelle symbolique y mets-tu ?
Chaque couleur est intentionnelle. Même quand c’est hasardeux, c’est quand même conscient.
J’ai envie que ça soit vivant en fait. Je veux que même dans la pénombre on puise voir quand même les couleurs, la lumière.
J’aime bien composer en teinte demi-teinte, en nuance, en contraste.
CN : C’est ta première participation à YIA, peux tu nous raconter cette aventure ? Que retiens- tu de cette 1ere participation ?
Je suis très enthousiaste et très fière de pouvoir montrer mon travail. Une occasion d’exposer c’est toujours bien. Ça permet d’avoir soi même la distance nécessaire pour comprendre d’où tout ça vient, où ça va, et comment on continue. Du coup, j’ai des fantasmes encore plus fous, j’ai des visions, je n’ai qu’une envie c’est retourner à l’atelier (rires !). J’ai envie d’exposer encore, pour tester encore ! C’est tellement amusant mais tellement important aussi ! On est là, à la vue de tous, et j’estime que l’on n’a pas le droit de montrer n’importe quoi, il faut montrer des choses justes.
J’ai croisé des gens émus, bouleversés. Toutes ces histoires me sont arrivées, mais je mets vraiment assez de distance pour que ça puise concerner qui veut regarder. Et c’est vrai que les gens sont touchés par tel ou tel aspect de mon travail parce que ça fait jaillir des souvenirs. J’invite à voyager.
CN : Justement, pour la YIA, tu as choisi de présenter une installation, peux tu la commenter ?
A : J’ai mis tout ce que j’aime faire. C’est mon atelier en volume réduit. Ce sont les éléments qui m’inspirent pour travailler et que l’on retrouve dans mon atelier. J’aime bien avoir la tête pleine d’éléments à priori disparates, car en fait ils fonctionnent tous ensemble car ils sont liés dans des histoires. Quand j’ai vu l’espace qui m’a été donné, j’ai ouvert mon bagage et j’ai improvisé selon le lieu. Tous les jours j’apporte un objet différent dans cette idée de rite que j’ai dans la création. Je donne des noms à mes objets et à mes dessins et peintures pour me rappeler.
CN : Les portraits que l’on voit tout en haut de ton installation, ce sont des autoportraits ?
A : Ce ne sont pas des autoportraits mais des portraits de gens, ici il y a un couple de jumeaux… Ils font partis de la suite de ce que j’ai présenté à Bandjoun en mai dernier.
CN : Justement tu avais participé à l’exposition « Dialogues » à Bandjoun en mai dernier, peux tu revenir sur ta résidence de deux semaines à Bandjoun et sur ce projet d’expositions ?
C’était une opportunité géniale d’exposer au milieu de nulle part, à côté de David Hockney ou de Roman Opalka et de tous les artistes locaux de Bandjoun. On était une vingtaine d’artistes, et on a tous fait des portraits qui dialoguaient tous les un à côté des autres, chacun dans son écriture et c’était très intéressant. Bandjoun Station donne l’opportunité à des artistes inconnus de montrer leur travail aux côtés d’artistes internationalement connus.
CN : Quelle est la réception de l’art contemporain à Bandjoun ?
Les gens sont curieux. Le musée est déjà une curiosité en elle-même. C’est incroyable, il y a de la mosaïque partout, dehors, dedans, c’est gigantesque ! Le musée trône sur une petite colline. Tout le monde là-bas pense que Barthélémy est complètement fou de montrer autant de vie et de créativité ! En Afrique, tout est très calfeutré, on n’est pas exubérant et là c’est tout le contraire !
A Bandjoun, on ne connaît pas Barthélémy comme on le connaît ici, là bas c’est l’homme de la terre, il cultive toutes ses terres autour de ce grand monument qui est son musée, pour générer une économie locale grâce à laquelle tout le village vit.
Les artistes locaux des Beaux Arts environnants ne connaissent pas Barthélémy Toguo, ils ne savent même pas qui il est. Et du coup, c’est une vraie chance pour tous ces artistes d’avoir une collection d’un niveau aussi intéressant, et une bibliothèque très garnie. Il n’y a plus qu’à trouver la volonté de vraiment s’y intéresser.
CN : Quels sont tes actualités, tes projets en cours, à venir ?
Venez me voir dans mon atelier à Montreuil. J’écris beaucoup. Pour moi créer c’est écrire !
J’ai un livre en cours dans lesquels il y aura des photos et des poèmes. On s’est découvertes mutuellement avec une éditrice. Elle m’a proposé de faire un livre avec elle. Je vais dévoiler mes poèmes que personne n’a jamais encore lu.
CN : Un mot de conclusion sur ton travail ?
A : J’aime bien l’idée de mettre de la poésie dans les drames de l’existence !
Site d’Atsoupé :
Article republié sur IAM :
http://www.iam-africa.com/atsoupe-creer-pour-se-souvenir/