Rencontre avec Camille Morineau commissaire de l’exposition : L’autre Continent : Artistes, femmes, africaines au Muséum d’Histoire naturelle du Havre

sans_titre_0Camille Morineau, s’intéresse depuis longtemps à la question des femmes dans l’art. Elle a été la commissaire de l’exposition elles@centrepompidou en 2009. Aujourd’hui, elle est la commissaire de l’exposition L’autre continent : artistes, femmes, africaines où elle présente 9 femmes au Muséum d’Histoire Naturelle du Havre. Rencontre in situ  lors d’une visite guidée par la commissaire en personne qui est aussi la présidente de l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions).

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Pourquoi ce choix du Muséum d’Histoire Naturelle du Havre ?

Le Havre a une histoire coloniale et post-coloniale intéressante. Cette ville a été un grand port de trafic d’esclaves. Le Musée présente les dessins et les objets d’un explorateur qui a beaucoup voyagé en Afrique. Le Musée d’Histoire Naturelle travaille naturellement sur l’Afrique, ils ont des très belles collections et sont ouvert sur ce continent. Il y a aussi une communauté africaine (essentiellement sénégalaise et mauritanienne) très forte  qui a  immigré pour travailler dans les Usines Renault au Havre. Pour toutes ces raisons, le Musée était intéressé par ce projet d’exposition.

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Camille Morineau, pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce projet ?

J’ai été contacté par Isabelle Lefort et le Forum de l’économie positive au printemps dernier.Il s’agissait d’ouvrir l’exposition au moment du Forum c’est-à-dire mi-septembre 2016. C’est dans le contexte de ce forum organisé par Jacques Attali, qu’Isabelle Lefort m’a proposé d’accompagner le forum par une exposition.

J’ai proposé ce sujet : un choix d’artistes femmes africaines. J’ai une histoire avec les artistes femmes que vous connaissez peut-être. J’ai fait l’exposition au Centre Pompidou elles@pompidou. J’ai commencé à avoir beaucoup d’intérêt, d’archives aussi de ces artistes femmes qui sont moins représentées, moins connues, moins documentées que les hommes. Depuis un certain nombres d’années la scène africaine émerge. C’est encore un continent que l’on connaît un peu moins que les autres et qui m’intéresse d’autant plus dans le cadre du forum car c’est un continent où il y a encore énormément de guerres, de tensions, de violences, où les choses se jouent encore beaucoup aussi bien politiquement qu’économiquement et socialement. C’est un continent où les femmes ont dans certains nombres de pays encore ont énormément de mal à vivre, à survivre, à travailler. Et donc être une artiste femme inclut un certain nombre de contenus sociaux philosophiques beaucoup plus fort que d’être une artiste femme aujourd’hui en France  ou en Europe par exemple. Ça me semblait être un sujet intéressant.

Ce n’est pas la première exposition consacrée aux femmes, pourquoi cette nouvelle proposition de votre part en tant que commissaire ?

J’avais tout à fait conscience qu’il y a eu déjà un certain nombre d’expositions sur ce sujet précis. Notamment celle qui a eu lieu à Bruxelles au Wiels, et qui avait eu lieu avant au FRAC Lorraine, qui s’appelait Body Talk qui était assez centrée sur la performance et plutôt sur un art féministe africain, donc j’estimais que ce sujet avait été déjà été assez bien traité. Il y a aussi l’exposition à Rochechouart qui s’appelle l’Iris de Lucy qui rassemble beaucoup, beaucoup d’artistes femmes africaines. Donc mon choix est plus restreint dans cette exposition. Ce n’est pas une grande exposition il y a 9 artistes.

Qu’est ce qui fait la spécificité de votre exposition ?

J’ai essayé de montrer des artistes qui n’ont pas ou peu été montrées dans les deux expositions que je viens de citer, et par ailleurs des artistes dont le travail me semblait très fort et méritant d’être montré avec un noyau sur une génération née dans les années 80 donc des artistes plutôt jeunes.

J’ai fait deux exceptions à cette génération là : Seni Awa Camara qui est une artiste qui fait de la sculpture, dans un esprit très « folklorique » même si ce n’est pas le mot, ça pourrait ressembler à un art qui ne répond pas aux codes de l’art contemporain à priori, alors qu’en réalité c’est très fort, c’est un art très percutant et très pointu. C’est une artiste qui travaille de manière  très isolée qui n’a pas vraiment de galerie ni vraiment de collectionneurs.

Et Sue Williamson, deuxième exception une artiste d’Afrique du Sud, qui est une artiste blanche, c’est une artiste formidable, qui était la première à parler de la condition des femmes en Afrique historiquement. C’est d’ailleurs une artiste qui a commencé par être journaliste et  son travail se construit de manière journalistique sous forme d’enquêtes ! En ce moment, elle présente à la Tate Modern, sa première grande série qui un portrait d’artistes femmes, et de femmes qui ont marqué l’histoire de l’Afrique et notamment de l’Afrique du Sud. C’est une femme qui a développé un art féministe très spécifique.

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Mon exposition n’est pas une exposition féministe, si ce n’est peut être dans mon choix de montrer des artistes femmes. Mais les artistes que je présente n’ont pas forcément un contenu féministe dans leur travail, ce sont plutôt des femmes qui ont pour certaines un discours politique, mais plus pour moi en fait des œuvres fortes. Elles sont techniquement très différentes : il y a de la photo, de la vidéo, du dessin, de la peinture, de la gravure. Je voulais montrer une diversité technique et de contenus.

Quel est le point commun à toutes ces femmes artistes ?

Le point commun à toutes ces artistes est une identité hybride ou hétérogène. Elles ont toutes beaucoup voyagé, changé de pays, quelque fois elles sont nostalgiques d’un pays qui n’existe plus ou qui est en train de changer à grande vitesse. Pour toutes, la question de l’hybridité et de l’identité est centrale. Chacune de ces artistes y répond différemment car ce sont 9 personnalités très différentes.

Je mettais aussi donner comme contrainte que toutes ces artistes soient nées sur le continent, même si beaucoup d’entre elles ont fait leur étude à l’étranger en Europe ou aux Etats Unis.

J’ai volontairement exclue les artistes noires américaines car c’est un autre sujet d’exposition à traiter peut être plus tard …(rires)

Il n’y a pas d’artistes d’Afrique du Nord ? Pourquoi ?

C’est un choix. L’Afrique du Nord je trouve que c’est encore autre chose, avec une autre histoire assez spécifique et d’autres typologies d’artistes qui sont plus reconnues et qui travaillent dans d’autres circuits. Elles posent presque toutes plus systématiquement et directement la question de la religion musulmane. Donc une position de la femme qui est encore différente. On s’est effectivement posé la question avec Hanna Alkema et Mathilde de Croix, les deux autres commissaires associées.

Pourquoi avoir choisi de présenter certaines œuvres de Zanele Muholi à l’extérieur du musée, directement sur les murs de la façade de celui-ci ?

Zanele Muholi est sans doute une des artistes la plus connue avec Sue Williamson, on a vu dernièrement son travail à Arles. Elle présente ici une série d’autoportraits dans l’esprit de Cindy Sherman. C’est elle travaillant sur des clichés de la représentation de la femme africaine. C’est une œuvre très percutante, très évidente. On l’a montré à l’extérieur du Musée, le Havre n’a pas forcément un public spécialiste de l’art contemporain, donc c’était un choix assez fort de montrer des images à la fois politiques mais aussi assez faciles d’accès. On voit bien ce que l’artiste veut dire sur les clichés appuyés sur la représentation de la femme. Ce sont des images qui interrogent la question du genre, mais aussi la question d’une sorte de colonialisme ou post-colonialisme.

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Quel est le contexte théorique, sociologique et historique de cette exposition ?

Cette exposition est la conjonction de deux tendances de relecture de l’histoire de l’art aujourd’hui: redécouverte des études postcoloniales d’une part  et d’autre part des gender’s studies qui nous invite à nous repencher sur les artistes femmes.

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Suivez le guide, visite des œuvres commentée par la commissaire Camille Morineau. 

Dans la première salle de l’exposition, dialoguent deux générations d’artistes sud africaines.

Sue Williamson  : « Sue Williamson est la doyenne de l’exposition. On a une œuvre historique sur son travail sur les femmes africaines et deux œuvres récentes. Ce sont des vidéos, des interviews qu’elle mène sur la question du pardon dans l’apartheid, elle croise 3 générations sur cette question pour savoir si  ce sont les jeunes ou les générations plus âgées qui pardonnent plus facilement. C’est un travail très passionnant de cette artiste, chercheuse, ex-journaliste. »

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Zanele Muholi : « Zanele Muholi, travaille aussi de manière assez documentaire. Elle fait état de la communauté LGBT. C’est une communauté qui est vraiment obligée de se cacher car elle est  soumise à d’extrêmes violences comme des viols collectifs ou des assassinats. C’est donc une communauté qui a du mal à exister et un travail qu’elle a eu beaucoup de mal à montrer, une exposition a été annulée à la dernière minute. Elle montre pour la première fois une projection de diapos en noir et blanc, qui a été conçue spécialement pour l’exposition au Havre. »

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Dans l’escalier principal du Muséum sont présentées les oeuvres de Malala Andrialavidrazana :  » « Malala est née à Madagascar mais vit à Paris. Son travail m’a tout de suite passionné car il parle de l’Histoire fragmentée complexe de l’Afrique. Elle le fait de manière visuellement très compréhensible, ces gravures sont faites essentiellement des billets de banque et des cartes. C’est un kilt visuel chronologique qui fait réfléchir sur la représentation coloniale que l’on se fait de l’Afrique, qui perdure dans certains billets de banque, mais aussi sur la représentation de la femme. C’est un travail très complexe à regarder dans les détails avec la mobilité de ces cartes avec des réalités qui ont peut être changées. »

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Figures 1838, Atlas ElÇmentaire (c) Andrialavidrazana_2015.jpg

A l’étage dans la seconde salle on retrouve le travail de deux jeunes artistes :

Ruby Onyinyechi Amanze : « Rubi vit aujourd’hui à New York. Elle est née au Nigeria. Elle travaille sur papier la question de l’hybridité, de double ou triple identités. C’est un travail très personnel qui me fascine avec ces très beaux dessins qui jouent sur différents règnes : animal, végétal. »

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Virginia Chihota: « Virginia Chihota est la plus jeune artiste de cette exposition. Elle est très nomade, elle change de ville tous les deux ans. Elle vit actuellement au Monténégro. Elle est née au Zimbawe. Elle a eu le prix Canson il y a deux ans. Elle est très timide et n’a pas voulu parler de son travail au vernissage. »

Virginia Chihota, where do we go that we know of (toendepi kwatinoziva), 2014, screen print on paper, 100 x 70cm, courtesy of the artist and Tiwani Contemporary (1).jpg

On retrouve également les sculptures de Seni Awa Camara, et la vidéo sur son travail réalisée par Fatou Kandé Senghor.

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Seni Awa Camara:  «  Seni Awa Camara est un sculpteur qui travaille à partir d’une Mythologie semi animale semi humaine. Sa démarche est en partie expliquée par un documentaire de Fatou Kandé Senghor, cinéaste artiste. C’est un très joli portrait filmé. »

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Dans  la mezzanine deux jeunes photographes repérées lors de la Biennale de Bamako 2015 sont exposées.

Mimi Cherono Ng’ok : «  Mimi est née au Kenya et y vit toujours même si elle voyage beaucoup. Une partie de ses photos forment un mémorial d’un ami à elle décédé. D’autres photos relatent ces voyages en Afrique. Elle a également vécu au Sénégal. Ce sont des portraits avec quelque chose d’assez nostalgique ou poétique.  C’est une installation inédite pour le Musée du Havre. »

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Lebohang Kganye: « Lebong est née en Afrique du Sud et après avoir beaucoup voyagé, elle est revenue vivre en Afrique du Sud. Ces photos sont un récit fictionnel où elle fait jouer 2 ou 3 générations de femmes. Elle a retrouvé des photos d’album de famille de  sa mère et de sa grand-mère… Et elle a repris des photos où elle se superpose ellemême  souvent portant les habits qu’elle a retrouvé de sa mère. Son idée est de récréer une continuité perdue, il y a une nostalgie de quelque chose qui n’existe pas ou qui n’a jamais existé. Le choix d’images a été conçu spécialement pour le Havre. « 

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http://www.museum-lehavre.fr/

Lire aussi les articles de Virginie Ehonian sur son blog à propos de l’expo:

https://africanlinks.net/2016/12/05/lautre-continent-artiste-femmes-africaines-museum-du-havre-part-1/

https://africanlinks.net/2016/12/08/lautre-continent-artiste-femmes-africaines-part-2-3-questions-a-malala-andrialavidrazana/

 

 

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3 réflexions sur “Rencontre avec Camille Morineau commissaire de l’exposition : L’autre Continent : Artistes, femmes, africaines au Muséum d’Histoire naturelle du Havre

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